1 Avant propos, lettre du Général Sérot Alméras Latour
Lettre du Général Sérot Alméras Latour
Commandant la 169eme division d'infanterie
A Monsieur le Colonel LENFANT
Commandant le 29eme d'infanterie,
MON CHER AMI,
Vous voulez bien me demander d'écrire quelques lignes, destinées à précéder l'historique, que vous avez fait, des actions auxquelles a pris part le 29ème d'infanterie, depuis le début de la guerre.
Merci mille fois de me donner cette occasion de dire une fois de plus tout le bien que je pense de ce cher régiment, de son chef, de ses cadres, de ses soldats.
Quand, à la création de la 169eme division d'infanterie, en janvier 1917, j'ai reçu le 29eme, il m'est arrivé, avec la réputation d'un beau régiment trempé par les durs combats livrés, pendant près de deux ans, en forêt d'Apremont, en Woëvre, aux Éparges.
La redoute du bois Brûlé, la Louvière, la Têteà-Vache, le bois d'Ailly sont autant d'endroits où son endurance et sa bravoure n'avaient cessé de s'affirmer dans des luttes héroïques.
Lorsqu'aussitôt formée, la division fut mise en ligne, en Champagne, dans le secteur de Ville-sur,fourbe, Main-de-Massiges, le eme donna bien vite la preuve de ses solides qualités militaires pendant la,période agitée correspondant aux violents ccombats livrés dans la région de Maisons-de-Champagne.
Puis arrive l'offensive d'avril et de mai 1917, où le régiment participa à l'attaque des mont Cornillet et mont Blond, dans le massif de Moronvillers. Là encore se manifeste sa belle tenue au feu.
Appelé ensuite à défendre, en Argonne, une partie du front particulièrement délicate, la région du Four-de-Paris, qu'avaient rendue célèbre, en 1915, les violentes attaques menées par les troupes du kronprinz, il s'est acquitté de sa tâche avec le zèle, le dévouement qu'il apportait toujours dans l'accomplissement de ses missions.
En juin et juillet 1917, quand l'ennemi s'efforça, en vain d'ailleurs, de porter atteinte à la discipline de nos armées, le 29eme, toujours animé du plus ardent patriotisme et du. plus haut sentiment du devoir, ne se laisse pas un instant effleurer par ces basses tentatives.
Dans le labeur modeste, mais combien pénible, de la vie de tranchées, dans ces nombreux coups de main qu'enregistraient les communiqués officiels, qui exigeaient tant d'audace, de courage individuel, de mépris du danger, et où s'accomplissaient sans bruit tant d'actes d'héroïsmes les caractères s'affirmaient, les qualités d'initiative et de bravoure se développaient. Le régiment se préparait en silence à jouer son rôle dans l'acte décisif de la libération du pays.
Ce rôle, il allait le remplir de la plus brillante façon.
Quand, à. la fin de mars 1918, le 29eme, amené par camions des environs de Sainte-Menehould, est arrivé, en pleine période d'offensive allemande, dans la région de Montdidier, où la lutte faisait rage, ces hommes qui débarquaient, calmes, disciplinés, très maîtres d'eux, donnaient l'impression d'une troupe pénétrée de la gravité dé la situation, mais consciente de sa force et heureuse d'avoir enfin l'occasion de la montrer autrement que dans des opérations de guerre de tranchées. On les sentait prêts à tous les sacrifices, sous la conduite de leurs vaillants officiers, dont ils se savaient profondément aimés et qui, en toutes circonstances, leur avaient donné l'exemple du dévouement et du courage.
Que dire de la conduite du 29eme durant les sept mois qui suivirent et qui ne furent, pour ainsi dire, qu'une-suite ininterrompue de durs efforts, sinon qu'elle fut remarquable à tous égards. Il fallut d'abord s'organiser, rapidement devant un ennemi qui, arrêté dans son offensive qu'il avait cru irrésistible, se vengeait par des bombardements d'une violence extrême, tels que celui du 17 avril qui, exécuté à obus toxiques, réduisit si fortement les effectifs de la division.
Tout était à créer comme organisations défensives. Ce fut une période particulièrement pénible de travaux intensifs, où il n'y eut pas plus de repos pour les troupes en soutien ou en réserve que pour les unités en première ligne.
Et, cependant, jamais de plaintes ne se firent entendre. Malgré le surmenage obligé, le moral restait intact.
Survient l'offensive allemande du 9 juin. L'ennemi, qui poursuivait toujours son idée de marche sur Paris, tente, entre la région de Montdidier et l'Oise, une nouvelle ruée.
Le 29eme, par sa belle résistance, a sa part dans l'échec infligé à l'ennemi.
Dès le lendemain de ce succès, les travaux défensifs durent reprendre, menés sans répit, malgré l'usure de la troupe. Il s'agissait d'accomplir les moyens pour interdire définitivement l'accès de la capitale aux armées allemandes.
En même temps, pour empêcher l'ennemi de masquer ses projets, pour le harceler, puis faire sentir l'ascendant croissant de nos troupes, on multiplie les coups de sonde profonds. Ce ne sont plus de simples coups de main, mais bien de vraies opérations offensives. Le 19 juillet, un bataillon entier du 29eme en exécute une qui fut remarquable en tout point et fut donnée en exemple par le général commandant l'armée. S'enfonçant, par surprise jusqu'à 1 800 mètres dans les lignes allemandes, se jetant sur l'ennemi avec un mordant admirable, il lui capture une centaine de prisonniers sans laisser un seul homme entre ses mains.
Avec le mois d'août, arrive pour la première armée, dont faisait alors partie la 169eme division, le moment, si impatiemment attendu, de passer à l'offensive.
Le 29eme venait de fournir quatre mois, d'efforts ininterrompus, ses effectifs avaient été saignés par des bombardements journaliers et une épidémie de grippe. L'état de fatigue était extrême.
Et cependant, lorsque, le 9 août, l'ordre d'attaquer fût reçu, il fut accueilli avec un véritable enthousiasme par tout le régiment.
Ce fut un superbe assaut que l'attaque d'Assainvillers, où les unités opérèrent avec autant d'ordre et de discipline du rang qu'à la manoeuvre. De fortes positions furent enlevées en moins de deux heures et demie, sur 4 kilomètres de profondeur. L'ardeur déployée fit tomber toutes les résistances. Plus de cinq cents prisonniers étaient capturés, ainsi qu'un matériel très important, dont vingt canons et minenwerfers et plus de cent mitrailleuses.
C'était là première journée d'une étape glorieuse qui allait se poursuivre pour le 29eme jusqu'au milieu d'octobre et au cours de laquelle il à cueilli deux citations, à l'ordre de l'armée avec attribution de la, fourragère et une citation à l'ordre du corps d'armée, sans parler des croix de guerre qui sont venues orner des fanions de compagnie et de bataillon.
Ces mêmes hommes qui, à la veille du 9 août, semblaient à la limite de leurs forces, puisèrent dans leur patriotisme, dans leur désir de vaincre, dans leur confiance en la victoire, une admirable énergie qui leur a permis de mener la lutte deux mois encore et de refouler pied à pied l'ennemi sûr 50 kilomètres de profondeur.
Ce sont ces hommes qui, trois jours de suite, les 29 et 30 septembre et 1er octobre, livrèrent à Urvillers, dans la région de Saint Quentin, des combats opiniâtres qui leur valurent la capture, de trois cent cinquante prisonniers de cinq régiments différents, d'une centaine de mitrailleuses ou mitraillettes et. de treize minenwerfers, dont plusieurs de gros calibre, et obligèrent l'ennemi à abandonner, quelques jours après, les fameuses lignes de défense de la position, Hindenburg.
Lorsque, le 13 octobre, le 29eme fut retiré du front, il n'avait eu, depuis son entrée en ligne, le 30 mars, près de Montdidier, qu'une courte période de repos de moins de quinze jours.
Quel plus bel exemple peut-on donner d'endurance, d'esprit de discipline, de moral !
Voilà, mon cher LENFANT, brièvement et combien imparfaitement résumés, les titres que le 29eme, sous votre excellent commandement, s'est acquis à la reconnaissance du pays.
Vous avez, pendant trois ans, développé au plus haut point, dans votre régiment, le culte de l'honneur, l'esprit de solidarité, la confiance entre chefs et subordonnés.
Le 29eme a toujours été l'image vivante de la vraie famille militaire dans ce qu'elle a de plus beau.
Vos efforts ont produit tous leurs fruits.
Quand le drapeau. de votre beau régiment fera sa rentrée solennelle à Autun, il méritera les acclamations enthousiastes de la foule. Il aura toujours été à l'honneur et n'aura cessé de récolter de la gloire.
Je voudrais être de ceux qui auront, ce jour-là, la joie de le saluer.
Le Nouvion, le 13 janvier 1919.
Le général commandant la 169eme division,
Signé: SEROT ALMERAS.